Les petits bonheurs à la manière de Bernard Clavel
Oncle Marcel
Mon oncle et ma tante habitait une jolie maison blanche à Coulanges, avec de la vigne, des fleurs, des tonnelles. Nous y allions tous les dimanches goûter les invraisemblables gâteaux à la cannelle que fabriquait tante Simone et jouer avec Toutoune le gros chien poilu qui ne sentait pas bon. Je préférais de beaucoup mon oncle Marcel, et de son air truculent quand il nous racontait des blagues de tous genres et en tout lieux…avant la chute de ses devinettes ou de ses histoires belges invraisemblables il était rouge comme une tomate et nous riions plus de sa bonne grosse mine réjouie de moine rigolard que de la chute, souvent consternante de ses propos.
J’étais la plus grande de ses fans, je le suivais partout, qu’il arrose ses salades ou qu’il accroche la vigne sur la façade de sa maison où nous passions tous les dimanches. Jusqu’au jour où…
Jusqu’au jour où…, du haut de mes quatorze ans je mettais mise à fréquenter les jeunes filles d’origine bourgeoise qui grouillaient dans mon institution. L‘allure peu soignée, son teint fleuri, son accent morvandiaux ne firent honte. Ce dimanche-là j’avais invité Marie Véronique D’Armancier dont j’adorais ses tenues de sport, bien plus luxueuses que mon short bouffant bleu marine tricoté par grand-mère. Après une horrible histoire qu’il avait pris un malin plaisir d’agrémenter de détails scabreux qui nous étaient destinés, à nous les deux pensionnaires de l’Institution Jeanne D’Arc, j’entraînais mon amie rouge de honte, au fond du jardin, loin de ce de « jardinier » mal élevé dont il faudrait vraiment que ma mère se débarrasse…
Le dimanche suivant, je revins seule, évidemment. Il m’accueillit comme d’habitude et me fit même un petit brun d’excuse. « Pardonne-moi ! Je ne changerai jamais ! Plus aucune chance, à mon âge. Toi, par contre… tes années de collège t’ont bien changées. Tu es devenue une petite sucrée ! Enfin ! Heureusement pour toi, j’adore le sucre !
Il était devin, ma parole. Puisque cinquante ans plus tard, je suis tellement sucrée que j’en suis devenue diabétique. Il me manque tant, avec sa bonne humeur, ses rires, sa bonhommie habituelle. C’est d’ailleurs le nom de la dernière histoire de lui dont je me souvienne :
C’est l’histoire d’un ministre – disait-il - venu de Paris pour inaugurer un nouveau pont sur la Loire. Le maire du pays doit faire un petit discours gentil, il n’ose pas, bégaie et allez, il se lance : « Je suis particulièrement heureux, Monsieur le ministre, que vous soyez venu de si loin avec votre bonne amie habituelle » …et comme le ministre est accompagné d’une belle jeune secrétaire qu’il a l’air de fort apprécier, on imagine le scandale… Que ne l’ai-je hérité de toi, cette fameuse bonhommie habituelle !
Mo
Le petit bonheur.
Gourmandise ou curiosité, j'étais alors un petit pâtissier. Après avoir expérimenté de nombreux desserts souvent chocolatés -du roulé au moelleux en passant par la Sachertorte ramenée de Vienne l'autrichienne- je décidai de me lancer dans les viennoiseries.
Mon livre de recettes présentait en photo la fabrication des croissants. J'avais réussi les expérimentations précédentes, alors pourquoi pas celle-là? Je réunis les ingrédients, préparai la pâte que je laissai lever. Je me souviens que l'opération dura des heures et combien il était excitant de fabriquer moi-même des croissants. Les rouler sans céder à leur tentation d'effondrement ne fut pas une mince affaire.
Le lendemain matin, je les badigeonnai au pinceau et les enfournai avant de les guetter, derrière la vitre du four allumé. L'odeur emplit la maison d'une promesse: de délicieux croissants tous les dimanches, un véritable régal familial.
Le verdict fut unanime: trop petits et trop durs. Nous étions loin de la légereté croustillante du croissant acheté chez le boulanger.
Les écouler ou les jeter? Seule mon arrière-grand-mère les trouva délicieux, ce qui était bien généreux.
JB