"Une petite dame en long manteau, avec de grosses lunettes sur le nez, s'appuyait contre la cloture, un sac marron à la main. Par les trous du treillage, elle scrutait les plates-bandes de l'autre côté. Je n'avais même pas besoin de suivre la direction de son regard, je ne pouvais pas ne pas voir ce qui l'interessait dans le jardin de biologie expérimentale. Au milieu de la neige s'élevaient des plantes en massue, bleues, jaunes, et orange sur toute la longueur, du bas de la tige jusqu'en haut, y compris les feuilles et jusqu'aux bouquets grumeleux de fruits inesthétiques. Ceux-ci étaient tout grignotés. La neige entre les plantes était piétinée, certaines traces allaient jusqu'à la cloture, des traces de sabots comme je n'en avais jamais vu. Des sabots non fendus, comme ceux d'un cheval, mais bien plus petits. Et surtout trés bizarres : leur avant n'était pas arrondi mais formait un arc aigu, brisé et sans fer. Le fer d'un pareil cheval aurait-il pu porter bonheur ?"
Extrait des 7 églises Roman gothique de Milos Urban paru au Diable Vauvert en 2010.
Ecrire la suite...
Laissant la vieille dame à sa contemplation, d’un bond, j’enjambai la clôture, fasciné par les traces en arc aigu, brisé qu’avait laissé- le cheval ? Non ! Un quadrupède non ferré.
Je suivis ses pas, dépassant les reliquats des bouquets grumeleux, de couleur bleue, jaune et orange et trottinant en zigzag de façon complètement anarchique, j’empruntai son chemin.
Le nez dans la neige pour fixer attentivement les traces de sabot, je dépassais le champ, passais la clôture ouverte sur un côté pour me retrouver dans une vaste plaine hérissée de clochetons mordorés et marron. Les dorés s’étaient mis à briller dans le soleil couchant et formaient une haie de lumières douces et clignotantes. Les clochetons marron avaient la consistance du pain d’épices et dégageaient un arôme de miel léger et suave. La nuit était tombée.
A présent, guidé par les seuls clochetons dorés, j’avançais plus lentement mais confiant car au bout de la plaine s’élevait un rideau d’arbres vert vif qui me semblait de bon augure.
Sur les traces de sabot, j’abordais la forêt lorsque j’entendis broncher près de moi.
Etait-ce un gros animal ? Un bruit de piétinements me fit dresser la tête.
Devant moi, se tenait fumant dans la brume du soir, le plus superbe étalon qu’il m’avait été donné de voir.
Sa robe blanche empanachée d’une crinière de soie flottait à chaque mouvement de l’animal. Une corne d’ivoire longue de deux mètres ornait son front et lorsqu’il planta ses deux yeux dans mon regard, je me sentis transpercé, mis à jour et tout à la fois accueilli par la somptueuse créature.
Oui, la longue quête qui m’avait conduit de clocher en village, par monts et vals, les fulgurantes visions qui tombaient en frayeurs abominables, s’achevait là, devant cet animal si beau, si doux et étrange.
M’approchant de lui ou d’elle, je ne savais pas, je tendis la main pour caresser sa robe. L’animal ploya les jambes avant et je montai sur sa croupe.
A peine arrimé à son dos, je sentis que foulant la terre à toute vitesse, ma monture prenait une altitude fulgurante. Bientôt je volai en plein ciel, heureux dans la nuit naissante et en dépit du froid, une douce chaleur m’enveloppait.
Au ciel brillaient des étoiles et je compris aux détours de ma monture qu’il inventait un chemin stellaire qu’il me serait difficile de retracer.
Lise-Noëlle
Distrait, je me promenais aux alentours de ma demeure,lorsque mon attention fut attirée par une petite dame. Elle était vêtue d'un long manteau sombre .Arborait-elle aussi des lunettes ?, je n'en suis pas si sûr . Cependant ce qui m'intrigua c'était son air pensif, quoique vainqueur, un demi-sourire aux lèvres. Instinctivement je me dissimulais derrière le tronc d'un arbre accueillant et protecteur,pour l'observer, avide découvrir quelque secret. Un minuscule bout de fer dépassait d'un sac brun qu'elle étreignait tout contre elle. A n'en pas douter c'était un trésor pour elle Elle s'éloigna de la cloture. Je me précipitais vers ce jardin mystérieux, bien décidé à en percer le secret. Ma surprise fut à son comble lorsque je découvris des empreintes qui sillonnaient la neige, ces empreintes n'étaient pas celle d'un humain, pas plus que celle d'un animal. Un monstre ? Cette vision me fit frémir. Ma curiosité aiguisée, je décidais de suivre la petite dame lorsqu'elle quitta la cloture du jardin aux étranges fleurs multicolores. Son pas
était rapide, vif, elle lançait autour d'elle des regards effarouchés et serrait de plus en plus obstinément son petit sac d'ou s'échappaient des rayons multicolores, intenses, qui illuminaient sa chevelure foisonnante. Son long manteau se transforma en une mosaïque semblable à des vitraux, l'atmosphère autour d'elle vibrait de mille scintillements. Elle s'éloignait en voletant, ses pieds ne touchaient plus le sol marbré de couleurs chatoyantes. Soudain un bruit métallique, assourdi me fit tressauter, je me figeais sur place. A mes pieds le petit bout de fer , échappé secrètement du sac semblait attendre que je le prenne dans mes mains. Il était chaud, tendre et ferme à la fois, je crus un moment qu'il allait me parler. Il était vivant à n'en pas douter. Il rayonnait de faisceaux colorés m'indiquant le chemin à suivre. Je lui obéis, je compris bien vite que je me trouvais sur les traces de la petite dame,
je ne la voyais pas, elle était devenue transparente, je sentais sa présence.Le fer dans ma main se faisait de plus en plus chaud. Hypnotisé, malgré moi je suivais ces rayons multicolores qui se jouaient de moi. Ils me menèrent dans un vallon peuplé d'êtres aux formes étranges, aux couleurs infinies. Chacune des couleurs vint me saluer avant de former une ronde effrénée, m'entourant ainsi que le petite dame au long manteau . Je lui tendit le petit bout de fer.
La petite dame aux yeux verts s'accroupit au pied d'une grande plante jaune, arracha les feuilles d'une tige, les roula entre ses doigts sales pour en faire un cigare mou qu'elle posa entre ses lèvres. Elle sortit une grande boite d'allumettes de son sac, alluma son cigarillo d'un air gourmand. J'avais bien envie de faire la même chose mais je me demandais si ces plantes étaient toutes de la même famille et si je n'allais pas m'empoisonner avec une plante toxique inconnue. La fumée de cigare me parvenait par bouffée et me rapellait une odeur familière. Je cherchais le souvenir qui y était associé mais rien ne me venait. Je fixais la vieille d'un air désespéré mais son image palissait de plus en plus. Moins je la voyais plus l'odeur m'obsédait. Seules restées imprimées sur ma rétine les taches violentes des énormes fleurs orangées... Perte de la mémoire, de la vue, certes, mais pas de l'odorat : l'odeur m'envahissait selon un schéma rythmé par un petit bruit métallique, aigu, obsédant comme ces robinets qui gouttent toute la nuit transformant une simple insomnie en torture chinoise. C'était comme un frottement de chaines de bagnards dans la nuit du bayou. Je tremblais sous cette gamme d'électrochocs qui cliquetait dans ma boite cranienne jusqu'à ma faire perdre totalement le sens du réel. J'avançais la main, comme perdu. Je me cramponnais à une tige de bois ronde qui semblait être une rame. Je grimpais dans une barque accrochée à un ponton vermoulu. J'avais retrouvé la vue et suivais les lignes des barques qui se croisaient en un réseau de lignes flottantes dans une odeur d'eau croupie. Je sentais le fleuve me supplier de ces bras tièdes. Il m'emmena jusqu'à un estuaire qui s'élargissait comme l'Amazone. Je sentais la menace d'un enfer vert. Au cliquetis menaçant s'était ajouté le cri des singes dans la forêt proche. Au milieu de la frondaison de lianes apparaissaient des flammes de bougies chancelantes. Je devinais une procession de prêtres roux, d'enfants portant des étendards fanés, des statues de vierge noire, des moines à la face grotesque. Des bribes de litanies latines traversaient le brouillard pour atteindre le coeur même de ma psyché, bousculant sur son passage les souvenirs d'enfance entassés depuis des lustres. Et puis tout s'estompa. Les chants, les lumières, l'odeur d'encens et de fleuve. J'eus froid aux pieds, tout à coup. Je regardais mes bottes recouvertes de neige, avec des traces de pas, tout autour de moi. J'entendis la vieille qui disait : "Raconte. T'étais où, dis, t'étais où ?".
MO
Je suis curieux de nature et ces traces dans la neige m’avaient intrigué plus que de raison. Je ne pus en détacher ma pensée et mes rêves cette nuit-là furent peuplés de créatures étranges allant et venant dans les allées du jardin de biologie expérimentale.
Je décidai dès le lendemain de fixer la forme incertaine de l’animal en passant la journée si c’était nécessaire à observer la mystérieuse activité du jardin. Je louai une modeste chambre dans l’hôtel situé juste en face et passai la matinée à la fenêtre. L’atmosphère était saturée de langues de brume qui se déplaçaient avec lenteur et découvraient par moments des taches bleues, jaunes ou orange. Je restai fasciné à fixer les lents mouvements, les paupières lourdes de sommeil. J’entendis comme un léger craquement dans la neige. Je ne vis rien d’abord. Soudain une patte fine apparut dans un trou de brume l’espace d’un instant et je perçus le bruit d’une feuille qu’on arrache. J’attendis quelque temps le cœur battant et n’aperçus plus qu’une courte crinière et ce que je pris pour la tête d’un cheval miniature car elle ne parvenait pas à attraper les fruits qui avaient été grignotés la veille. Je croyais avoir rêvé et je savais au fond de moi que je n’en verrai pas plus ce jour-là. Quand la brume se leva il ne restait plus une seule feuille aux plantes.
Dès que j’eus payé la chambre je décidai de me rendre chez le professeur Pluviov qui travaillait au jardin de biologie expérimentale et que j’avais aperçu à trois ou quatre reprises lors de conférences qu’il avait donné à l’université. Je fus introduit par une femme à l’aspect sévère et aux traits tirés qui semblait être un dragon chargé de veiller sur un trésor. Le professeur me reçut, ou plutôt ce devait être son fils car l’homme n’avait qu’une quarantaine d’années. Il était tel que l’image de son père s’était fixé dans mon esprit une vingtaine d’années auparavant. Derrière des lunettes à verres épais son regard semblait fatigué et étrangement lointain, comme absorbé par une réflexion intense. Il m’accueillit avec une certaine réserve et avant même que je lui fasse part de l’objet de ma visite il me demanda si nous ne nous étions jamais vus auparavant et ses yeux semblèrent chercher à fixer dans un coin de l’espace le souvenir d’un passé infiniment lointain. Je lui répondis que c’était impossible mais que j’avais suivi avec passion les quelques cours que son père avait dispensé à l’université. Un vague sourire erra un instant sur le bord de ses lèvres et, secouant d’un seul coup tous ses songes, il se montra d’une affabilité presque gênante et me pressa de questions. Je sortis sonné sans avoir rien pu apprendre.
Olivier
………………………..Je savais qu’une querelle avait éclaté récemment entre le professeur Dupré et Camille Herzog son assistant, au sujet de dégâts causés par un animal sur dans différents massifs. Celui ci venait la nuit grignoter les fruits des plantes que le professeur avait rapportées de son voyage en Sibérie. C’étaient des plantes rares qu’il avait ramassé lui-même et que personne n’avait pu alors identifier. Elles étaient étranges et ces bouquets de fruits très serrés, fripés, n’avaient rien d’engageants. Ils ressemblaient à de petites figues de Barbarie colorées. Elles auraient pu venir d’Afrique plutôt que de ces landes gelées. En tout cas, elles semblaient apprécier le climat hivernal de la région et attirer même un animal aussi étrange qu’elles. Je m’approchai, la femme s’éloigna prestement en me lançant un regard mauvais. Visiblement je la dérangeais. Je courus pour la rattraper et lui demandai quelle était sa pensée au sujet de ces traces bizarres dans la neige. Avait-elle une idée de l’animal qui se régalait de ces plantes. Elle éclata d’un rire qui me glaça.
Laissez –moi me dit-elle, je n’ai rien fait et je n’ai rien à vous dire.
Je ne vous demande que votre avis, répliquai-je, rien de plus.
A ce moment, elle entra sous une porte cochère, je la suivis. Elle ressortit par derrière et pénétra dans une maisonnette prolongée par un jardin. Une porte dérobée permettait d’éviter la maison. Je vis alors que le jardin donnait sur le jardin de biologie expérimentale. Dans un coin dormait un animal étrange, ni biche, ni lièvre : un animal rescapé de la préhistoire, horrible, pelé, gris, aux sabots semblables aux traces laissées dans la neige. Je repartis sans me montrer. « Encore une sorcière, décidemment le pays en est plein. J’informerai mon collègue Dupré. Il se réconciliera avec Camille ».
Claire
Armoiries du Canada
Source: Wikipedia