Yves Buin | ||||
biographie
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Psychiatre, romancier, poète et grand amateur de jazz, Yves Buin est né en 1938. Son écriture transcrit ce qu'il a nommé le "blues d'ici" Ce travail enjoué de la langue se nourrit de multiples expériences et fait d'Yves Buin un auteur particulièrement imprévisible et enthousiasmant. Il a publié une vingtaine d'ouvrages. |
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bibliographie
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L'illusoire retour des îles Le Castor Astral (2002) |
Cher Monsieur,
Nous sommes un petit groupe de femmes qui se réunissent une fois par mois en un atelier d’écriture joyeux, informel (et gratuit). Nous avons pris, sans vous demander la permission (oh les vilaines) votre poème intitulé « j’étais » dans l’excellent livre « Poésie d’aujourd’hui à voix haute » comme source et souffle pour nos essais d’écriture.
Nous avons été si contente de votre œuvre et si contente des nôtres qui en découlaient que nous avons trouvé normal de vous faire parvenir le résultat.
En vous priant de nous excuser pour cet emprunt d’inspiration poétique, nous vous assurons de notre admiration.
Monique Coudert
« Plume en chef »
D’après le poème d’Yves Buin
« J’étais » extrait de quelqu’un demandait son chemin –Orphée Studio-
J’étais l’histoire de quelqu’un
J’étais moi-même et je n’étais rien
J’étais le nom que ma mère criait sous les hêtres pourpres
J’étais le silence d’après ses cris
J’étais dans ce creux de non-bruit, couchée dans mon pays
J’étais le râle sifflé de sa poitrine étroite
J’étais ma peur, le soir, quand revenait le noir
J’étais le bec de gaz comme un phare pour les chats
J’étais le masque oublié dans la loge
J’étais le grain de riz dans le limon qui dort
J’étais l’hortensia bleu et surtout l’impatience
du puits sous la margelle, l’ange au sourire câlin
le sentier des armoises, le col blanc du marin
J’étais le bleu dans l’œil de mon grand frère Igor
quand il prenait ma main.
J’étais moi-même
je me souviens
Je dois bien être l’histoire de quelqu’un
Monique
J'étais un tunnel
J'étais un tunnel, enveloppé dans mon obscurité . Au loin, là-bas, au bout du bout des bouts, des lueurs, des ombres, quelquefois même des étincelles multicolores s'immisçaient lentement dans le noir. Mes paupières inexorablement inertes se laissaient lentement envahir d'une lumière douce et caressante. Sons rocailleux, tintamarre assourdissant, martèlements incessants troublant l'atmosphère. J'ouvre les yeux, je découvre le monde, j' écoute les sons, je me mets à vivre, loin de l'obscurité, du silence et de la solitude.
Marie-Madeleine
J’étais un nombre étrange
J’étais un nombre étrange venu des Egyptiens : sa magie inspira certains poètes grecs dont hérita Nostradamus. Il s’en servit pour compiler les fureurs prophétiques dictées sur l’oreiller
par les Parques tragiques. Comme en ancienne Babylone, le temps, pour lui, était cyclique.
Je suis le nombre oublié qui partage le secret du temps
Nathalie
J’étais le fruit dans un fruit
Quand j’étais le fruit dans un fruit tu étais le noyau de ce fruit tout en couleur d’amande amère et d’espérance recroquevillé aux sources de mon silence. Ton cœur battait deux fois, pour ta vie et la mienne, en rythme de danse africaine où tes petits petons noyaux cognaient haut au rythme de mes veines.
Un jour tu as fendus mes peaux, abricot roux de la grand plaine et tu as roulé de coteaux en coteaux au pied d’un autre grand totem pour que ta graine vienne à bout d’une autre pierre d’obsidienne.
Monique
J’étais le lichen, les rochers
J’étais le lichen, les rochers
Dans une forêt de cèdres et de grands bouleaux dorés
J’étais le vent qui s’enroule et se coule
Sous les feuilles pailletées, la nature découverte
Et les mousses de bronze qui essaiment
Leurs spores sur des terres inconnues
Où je m’enracinais, nouvelle mousse, nouveaux chênes
Pour une forêt neuve
De têtes souveraines, de cimes feuillues
Bruissantes sous la pluie, le vent et les éclairs
Que n’ébranlent ni rochers ni lichens argentés
Forêt de rochers, de lichens et de feuilles
J’étais et je fus une forêt de cèdres
De grands bouleaux dorés
Et de chênes moussus.
Lise-Noëlle
J’étais les voyages
J'étais le bus 62. Douze mètres, vingt-huit tonnes. Le même uniforme dimanche et jours ouvrables, rouge en haut, jaune en bas et en brassard parfois, une affiche de en moi chuintait et gémissait quand j'ouvrais mes portes sur le monde, ça faisait longtemps que je sillonnais les routes de ma vie comme un âne aveuglé au moulin, broyant le grain de mes arrêts facultatifs, lâchant au nez des voitures ses pets mortels.
ça faisait longtemps que je rêvais, au milieu des collégiens, des cabas, des commères, des cadres sans voiture aujourd'hui, la Picasso est au garage, on refait la peinture métallisée, pendant que montent et descendent et s'assoupissent et se marchent sur les pieds les clodos ,les travelos, les ouvriers, les caissières d'hypermarché et les femmes en foulard, oui, ça fait longtemps que je rêvais qu'on me bande enfin les yeux du mot dépôt, qu'on me mène doucement par la longe m'aligner auprès des copains , et que le chauffeur se lève, ôte sa casquette, prenne sa sacoche en se tenant les reins, qu'il me chuchote à l'oreille, comme une consolation, "Terminus, mon vieux, terminus", répétition de la dernière fois, celle où il me garera près des autres carcasses au rebut, me saluera d'un petit coup de main près de la visière de la casquette, juste avant que les ferrailleurs ne m'attaquent à coups de burin. Si c'est comme ça qu'ils font.
Magali
J’étais un nombre étrange
J’étais un nombre étrange venu des Egyptiens : sa magie inspira certains poètes grecs dont hérita Nostradamus. Il s’en servit pour compiler les fureurs prophétiques dictées sur l’oreiller
par les Parques tragiques. Comme en ancienne Babylone, le temps, pour lui, était cyclique.
Je suis le nombre oublié qui partage le secret du temps
N.
J’étais ce que la flamme est à la bougie
J’étais l’ombre douce qui couvait autour d’autres parfums. J’étais le feu qui dore le pain et le soleil qui chauffe les pierres. J’étais la lumière transparente, l’espérance de calme, un regard compatissant, un cycle miraculeux, une seconde chance. J’étais un départ de bateau et un retour de chasse. J’étais le jour et la nuit, le flux et le reflux d’une mer sans nom. J’étais le blanc d’Espagne sur les vitrines, le grain de café dans la machine. J’étais odeur, vigueur, mendiant perdu, fontaine secrète ou souveraine. J’étais la flamme de ton nom gravé dans le marbre. J’étais les bras qui s’ouvrent et le labour qui peine. J’étais malléable, corvéable, épanouie, éberluée. J’étais ce que la flamme est à la bougie, quand tu me trouvais jolie, j’étais tout ça, Papa.
M.
J’étais le fruit dans un fruit
Quand j’étais le fruit dans un fruit tu étais le noyau de ce fruit tout en couleur d’amande amère et d’espérance à se pelotonner à l’abri du bruit, recroquevillé aux sources de mon silence. Ton cœur battait deux fois, pour ta vie et la mienne, en rythme de danse africaine où tes petits petons noyaux cognaient haut au rythme de mes veines. Un jour tu as fendus mes peaux, abricot roux de la grand plaine et tu as roulé de coteaux en coteaux au pied d’un autre grand totem pour que ta graine vienne à bout d’une autre pierre d’obsidienne.
M