ODILON REDON
Odilon Redon, prince du rêve. 1840-1916. Galeries nationales du Grand Palais, jusqu'au 20 juin.
« La logique du visible au service de l'invisible. »
Odilon Redon est un « prince de rêve » qui nous conduit de surprises en surprises. L’influence de Millet, de Darwin pousse Redon à une exploration de la nature. Mais celle de Delacroix, Baudelaire, de Gustave Moreau, accentue sa hantise des origines, de l’infini, des grands mythes… Il explore l’inconscient avant l’invention de la psychanalyse et révéle, dans ses gravures, l’anthropomorphisme des êtres qui hantent les cauchemars… C’est la période des Noirs, ensemble de fusains et de lithographies exécutées jusqu’en 1895, Dans le Rêve (1879), Origines (1883). C’est aussi un lecteur/illustrateur hors pair : Edgar Poe, (A Edgar Poe) Gustave Flaubert (La Tentation de saint Antoine (de 1888 à 1896) et L’Apocalypse de saint Jean (1899). Grand ami de Mallarmé, le poète lui dira : « Vous agitez dans vos silences le plumage du rêve et de la nuit ». Pourtant en 1880, lorsqu’il se marie avec Camille, jeune réunionnaise, c’est l’apparition de son premier pastel. C’est une explosion de vie. Sa science de la couleur va influencer Gauguin et ses amis les Nabis. Son autre grand ami, le musicien Ernest Chausson, lui permettra de devenir un décorateur de génie au château de Domecy (1901). Il sera aussi créateur de cartons de tapisserie pour la manufacture des Gobelins. Le jour, la Nuit, le Silence… sont les titres de ses derniers grands formats à l’abbaye de Fontfroide, C’est sans doute son testament artistique. Odilon Redon meurt en 1916.
« Lorsqu'il enlève de la peinture, Redon est génial. On le voit de manière frappante dans ses fleurs. Lorsqu'elles sont au pastel ou qu'il pastellise son huile, en quelque sorte, je veux dire qu'il en met peu, sa touche est légère, et les fleurs semblent d'une matière nouvelle, entre le coton et le crépon, aussi prodigieuses que ses monstres. Odilon Redon est un homme pour qui les araignées sont des fleurs, et vice versa. » (Charles Dantzig)
L'araignée souriante.
Il était une fois une petite araignée velue qui était rejetée par les siens parce qu'elle souriait. La pauvre araignée ne comprenait pas pourquoi ses soeurs s'éloignaient quand elle approchait. Elles n'avaient de cesse de baver sur elle et tissaient tant de toiles qu'elles avaient un garde-manger fort enviable. L'araignée souriante, elle, ne savait pas tisser: elle souriait et se promenait du haut de ses échasses. L'araignée souriante était la bonté incarnée mais elle était malheureuse: elle n'aimait pas ses pattes maladroites, pas plus que sa tignasse qui donnait le signal de la chasse. Rapide et légère, elle décida de s'en aller pour d'autres contrées. En chemin, elle rencontra le chat qui sourit et la souris qui tchate. Le matou paresseux se demandait ce qu'il allait manger. La souris passa commande sur l'internet. L'araignée souriait car elle avait de nouveaux amis. Elle ouvrit un salon de coiffure et de danse. Le chat sourit, l'araignée aussi, surtout quand le chat n'est pas là car la souris danse!
J-B
Dans l'armoire ancienne de ma chambre aux toiles vives des contemporains j'ai ménagé un abri fabriqué d'une boite de carton recouverte de soie et d'un ruban d'organdi. Ce lieu secret n'a qu'un seul usage : servir de refuge à mon amie. Si vous la connaissiez un peu, vous l'aimeriez à la passion. Mais avec précaution. Tête chevelue de mille filaments noirs minces et luisants implantés droits sur sa tête ronde, légèrement étirée sur les oreilles. Une tête au regard expressif et profond. Ses gros yeux sombres qu'elle manie comme des callots en les faisant rouler ont une vision de 360°. Son nez est trop aplati pour que je lui trouve un intérêt quelconque, sa bouche, en revanche,munie de ces minuscules incisives pointues s'épnouit en un large sourire qui n'est pas sans rappeler celui du requin, en tenant compte toutefois de l'échelle des valeurs. Montée sur 8 pattes articulées elle se déplace à la vitesse de la lumière. Sensible à ma voix, elle vient à mon appel se faire caresser le front. Je lui offre de petites mouches, insectes ou fourmis qu'elle dévore avec la voracité d'une ogresse; Bien que géante elle ne dépasse pas la taille de ma main mais je préfère la voir courir sur le tapis que sur mon bras. Son venin peut être mortel et je me garde bien de lui déplaire. Elle aime Mozart, déteste Stockhaüsen et le rouge vif. Elle aime se dorer au soleil, sise dans son hamac géant qu'elle pend à ma fenêtre. Mais dès qu'il fait froid, elle rentre se recroqueviller dans ma boite refuge et bien me prend de la laisser tranquillement dormir dans son sac. Car pour amies que nous sommes, je crains que par mégarde, un jour de colère, ma chère Julie, l'araignée géante de mon armoire ne m'anesthésie pour un repos éternel quelque peu anticipé.
Lise-Noëlle
Venue de la crampe atroce de ma profondeur
visitée, pendue par les pieds
dans le velouté de l'arachnide
retournée en son emprise
prise
par tesson de velours.
Elle fait silence
sur les suintements, les cris, les ecchymoses, la fleur muqueuse, les attouchements, les stridences de la douleur
Sous le masque le chirurgien rit
Sur le masque l'araignée sourit
N'est-ce pas Redon
N'est-ce pas Rodin
N'est-ce pas Camille
N'est-ce pas Claudel
celle qui tremble au bout du fil de sa destinée
c'est moi.
L'araignée ose être souriante quand elle me perçoit tremblante
et prisonnière
dans la grotte avec mon père.
Gardienne de mon chambranle de porte, équarisseuse de ma mémoire
pour que je n'avance plus d'un fil
dans mon histoire.
MO