Le nouveau livre de Modiano est comme le beaujolais nouveau, toujours le même mais pourtant toujours gouleyant, fort en bouche, indispensable...
"Il y a quelqu'un?"
Le texte en italique est extrait de L'Herbe des nuits de Patrick Modiano. Il s'agissait d'écrire une suite à ce texte.)
Pourtant, un après-midi, nous revenions d'une promenade sur le chemin du Moulin d'Etrelles -les noms que l'on croit avoir oubliés, ou que l'on ne prononce pas de peur d'être ému, surgissent dans notre mémoire, et ce n'est pas si douloureux que cela-, et le chien marchait devant nous, sous un soleil d'automne. A peine avions-nous refermé sur nous la porte de la maison que nous avons entendu un bruit de moteur. Il se rapprochait. Dannie m'a pris la main et m'a entraîné au premier étage.Dans la chambre, elle m'a fait signe de m'asseoir et elle s'est postée au bord de l'une des fenêtres. Le moteur s'est arrêté. Une portière a claqué. Un bruit de pas dans la partie de l'allée qui était recouverte de graviers. "C'est qui?" ai-je demandé. Elle ne m'a pas répondu. Je me suis glissé jusqu'à l'autre fenêtre. Une grosse voiture noire de marque américaine. Il me semblait que quelqu'un était resté au volant. Un coup de sonnette. Puis deux. Puis trois. En bas, le chien a aboyé. Dannie était figée et, d'une main, serrait le rideau. Une voix d'homme: "Il y a quelqu'un? Il y a quelqu'un? Vous m'entendez?"
Dannie me regardait, l'index sur les lèvres, livide: elle tremblait. Les aboiements du chien couvraient heureusement les gémissements de ma soeur. "Les enfants! Venez. J'ai quelque chose pour vous!" Si Dannie n'avait pas été dans cet état, je me serais volontiers fié à cet homme, je lui aurais répondu. J'étais perdu. Je ne comprenais pas ce qui se passait, intrigué par cette visite impromptue d'un monsieur qui semblait nous connaître et nous vouloir du bien: il nous apportait des cadeaux. Bris de glace, coup de feu. Silence. Dannie elle-même s'est tue alors que notre compagnon de jeux avait sans doute été abattu. "Nous reviendrons les enfants!" Le moteur a démarré. Une portière s'est ouverte, elle a claqué, la voiture est partie. Dannie s'approcha de moi, m'enlaça en sanglots et s'effondra...
J.B.
J'avais peur que le chien se mette à japer et signaler notre présence. Nous avions escaladé sans peine la muraille de la propriété, poussé la porte de la cuisine qui n'était même pas fermée à clef - un oubli sans doute - nous étions persuadés qu'il n'y aurait personne dans la grande batisse et voilà, quelqu'un sonnait à la porte...Nous étions pris en faute, rouges jusqu'aux oreilles et le fait de se sentir coupable, ensemble, ne créait pas de lien entre nous. Chacun accusait l'autre de la mauvaise tournure qu'était en train de prendre notre aventure. L'incursion dans la villa que nous avions trouvé irresistible me semblait tout à coup complètement stupide. J'étais tellement mal à l'aise que j'avais envie de fuir tout de suite, oubliant l'échange de nos petits baisers délicieux sur un lit à odeur inconnue. Je me retrouvais dans la peau d'Adam surpris au moment de son délit originel prêt à en rendre Eve responsable pendant des siècles et des siècles.
Dannie respirait par petits coups, livide, cramponnée aux rideaux. Quand enfin nous avons entendu le bruit de la voiture grinçant sur le gravier - ça y est, les visiteurs inconnus renonçaient - nous avons respiré un grand coup. J'espérai même vaguement que la journée n'était pas fichue et que nous allions pouvoir reprendre nos étreintes interrompues. C'était mal la connaître. Danie haussa les épaules, appella le chien qui vint se serra contre elle, rassuré aussi tout à coup. Elle tira un peu sur le couvre-lit jaune pour en effacer les plis et quitta la chambre sans un mot. Je l'entendis dévaler les escaliers et ouvrir la porte de la cuisine. J'aurai dù crier son nom mais j'étais paralysé, un énorme poids sur la poitrine. Le bonheur avait été si rapide à s'installer entre nous et voilà qu'un malheur poisseux et incontournable lui avait succédé. Toujours posté derrière la fenêtre, je la vis s'éloigner sous les arbres. J'étais certain que je ne la reverrai jamais.
MO