Extrait de « La force du miroir » de Guillaume Apollinaire ( Il y a )
J'étais, indigne, un jour en la chambre au lit blanc
Où Linda dans la glace admirait sa figure
Et j'emportai, grâce au miroir en m'en allant,
La première raison de devenir parjure.
Une armoire
Regarde-là, passe devant, ne l'ouvre pas. Elle contient des secrets vengeurs cachés sous les piles de draps ou coincés dans le coffre à bijoux, en cuir de Cordoue, là où les alliances de tes parents se tournent le dos.Si tu fais grincer la porte de bois de rose, rococo, plaquée d'un acajou saumâtre, le mystère s'évadera par les gonds. Il se dissipera dans la chambre comme un gaz mortel à odeur de poudre de riz. Ce mystère entrera dans ton corps par tes narines et te rendra, monstrueuse, impure. Jamais ne s'effacera l'opprobre de ta fichue découverte prématurée. Tu seras frappée d'une marque de fille, indélébile. Ton destin est déjà inscrit dans le grand livre primordial tu n'as pas le droit d'en changer une ligne. Ton père et ta mère t'interdisent même de passer devant leur chambre de peur que tu ne jettes un oeil sur le lit alors comment peux-tu oser penser ouvrir cette armoire ? Le meuble a un gros ventre rond et blond comme une déesse mère. Le secret de l'origine est là, crypté d'un code que tu serais trop jeune pour comprendre. Tu hésites longtemps, dans la pénombre du palier puis tu hausses les épaules et vas jouer avec ton petit-frère.
Le temps est passé. L'armoire ? Tu n'as jamais osé l'ouvrir. La maison est vendue. L'armoire a disparu. Le mystère des origines y est peut-être resté. Tu ne le sauras jamais.
MO
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Elle n’a pas bougé d’un pouce. Elle n’a pas grimacé, ni grincé des dents. Elle n’a rien dit.
Posée là, au beau milieu du champ de mon regard. Un rien solennelle. Digne , un peu à la manière d’une douairière qui serait restée vieille fille. Avec des échardes sur ses flancs pour vous griffer la main si vous l’approchez de trop près. Fermée sur elle-même tel un Bernard l’hermite. La peur du danger, de l’inconnu. De la fracture brutale. Elle l’a déjà vécu. Une longue balafre sur sa face, côté gauche, en témoigne.
Je la regarde. J’hésite.
Alors qu’elle est fermée à double tour s’ouvre son côté droit, lisse, ferme. Je tends les bras, fais un pas vers elle. Elle me tend son miroir. Implacable regard.
J’y découvre ce que j’ai longtemps voulu me cacher. Devant mon désarroi, le silence s’est creusé dans la pièce.
Alors la rage me monte au cœur, je la frappe de coups de poing, je lui lance mes pieds et soudain, son côté gauche, déjà fissuré s’entrouvre à son tour.
Posée sur un coussin rouge, au milieu de la grande étagère de l’armoire, une clef avec ces trois mots : Ouvre ton cœur !
Lise-Noëlle
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L’armoire trônait dans la chambre face à la fenêtre, face au soleil qui tous les matins venait caresser ses panneaux de palissandre. Elle était seule dans cette vaste pièce, comme si tout autre mobilier avait fui ce lieu, et l’on s’interrogeait devant ce sphinx impassible. Qu’avait à taire cette bouche cadenassée et toujours close ? Quel secret dans ses flancs ?
Par la porte entrouverte, une fois, j’aperçus le mystère. Il n’y avait là sur une étagère centenaire qu’un frêle berceau de poupée, comme un regret d’enfant.
O.