Alertoplum

L'art de la liste

 

VERTIGE DE LA LISTE

Avez-vous le goût de l'énumération ? La littérature et la peinture fourmillent de listes de toutes sortes... comme nous le démontre Umberto Eco dans le "Vertige de la liste", merveilleux livre paru aux éditions Flammarion en 2009 ... 

Vertige de la liste - UMBERTO ECO

Benjamin Walter Spiers: Armour, Prints, Pictures, Pipes, China All Crackd Old Rickety Tables, and Chairs Broken Backd, 1882

Le vertige de la liste est illustré par ce tableau de Spiers. Il montre tellement d'objets que la première consigne est d'en faire une liste, puis en choisir un seul qui nous inspire plus particulièrement...
 

Bien longtemps après avoir appris que ce qui se trouvait dans cette pièce m'appartenait, je me surpris à espérer lever le voile sur ce que je considérais comme un secret jalousement gardé par le détenteur de tous ces objets; je pénétrais presque religieusement dans cette pièce sombre et mystérieuse pour moi. L'obscurité était si dense que je ne vis au milieu de toutes ces reliques que l'éclat d'une aiguière à demi remplie de vin et deux verres pleins. La lumière qui venait de la fenêtre éclairait l'aiguière dont la transparence donnait l'impression que le vin venait d'être versé dans les verres. A qui était destiné ce breuvage ? je demeurais immobile, m'attendant à voir dans l'instant quelqu'un surgir pour venir trinquer. Je restais tapie dans l'obscurité.......

 

 

Par le miroir posé à terre, je réussis à voir son visage de profil. Et bien que je me l'interdisse, je ne pus m'empêcher de regarder le mouvement de ses lèvres. C'était un de nos jeux préféré enfants, nous aimions jouer tantôt aux aveugles, l'une servant de guide à l'autre puis nous intervertissions les rôles tantôt  imiter les sourds et muets. Nous affectionnions ce jeu qui faisait grosse impression sur notre entourage: Mère nous laissait dans son salon et nous retrouvait toujours aussi calmes et silencieuses. Donc, sans même faire effort, je lus la confession de ma pauvre soeur. Elle était tombée amoureuse de son jeune professeur de piano, un jeune homme pauvre, d'excellente famille mais aux fonds de poche  rapiécés et comprenant que personne dans notre famille ne l'autoriserait à épouser ma soeur, sans que jamais une interdiction ne  fût prononcée , les amoureux décidèrent de contrer le sort en s'aimant, à l'abri des regards, d'un amour fou. Ma soeur naïve quoique très avertie, tomba enceinte. Ce fut le drame. Tous avions reçu une éducation qui nous protégeait de commettre un quelconque crime, c'est ainsi que l'avortement était jugé dans la famille, mais il devenait plus évident pour ma jeune soeur et son ami de coeur que chaque jour qui passait les rapprochait de ce terrible choix. Ils décidèrent enfin, à trois mois de grossesse, de se rendre dans une grande ville de Suisse, l'excuse du récital à donner pour une oeuvre caritative fut aisément trouvée et de "faire passer" le fruit de leurs amours. Mais de retour à la maison, ma soeur et le jeune homme connurent l'un comme l'autre, une terrible éclipse. Le jeune homme attenta à ses jours en avalant un cocktail de plantes qui aurait pu lui être fatal si ma soeur n' était arrivée inopinément pour appeler les secours.



J'en étais là de sa confession, mouillée de larmes quand de nouveau, on frappa discrètement à la porte...

 


Soudain, un froissement d'étoffe, un bruit de pas furtif. Je reculai dans l'ombre. Quelqu'un arrivait. Je m'accroupis derrière une crédence. Un serviteur, sans doute, qui ne ferait qu'entrer, prendre un objet et sortir? Mais la porte fut refermée à clé. L'arrivant (un homme d'âge, certainement, son pas était hésitant, presque boiteux, comme me l'indiquaient les grincements du parquet de chêne)  s'arrêta au milieu de la pièce. Son souffle était précipité, comme celui d'un vieillard qui a monté des escaliers un peu plus vite que les infirmités, ou la décence de son âge ne le lui permettent. J'écartai légèrement le tapis richement ouvragé qui protégeait la crédence, distinguai, au lieu des bottes et des chausses que je m'attendais à voir, le bas d'une robe pourpre. J'étouffai un hoquet de surprise. Le  Cardinal, ici, dans ce débarras?


Un grattement furtif. Je rassemblai mes jupes autour de moi, espérant que ce ne fût pas une souris. Mais le grattement cessa, se transforma en deux coups délicats, deux coups de toute évidence frappés à la porte. Quelqu'un d'autre voulait entrer. La robe rouge fit demi-tour. De l'autre côté du battant s'éleva un chuchotement. La clé fut tournée dans la serrure.

Aux pans de satin vert que je perçus de ma cachette, je sus que c’était ma sœur. Elle mettait toujours cette robe au bouillonné affriolant quand elle recevait un homme, même un représentant de notre Sainte Mère l’Eglise. J’entendis des chuchotis, des bruits de tissus que l’on froisse, des mots dits à l’oreille et le bruit caractéristique d’une bouche assoiffée lorsqu’elle se désaltère. Je n’osais sortir de ma cachette, m’attendant à une scène d’un érotisme inouï. C’est en entendant un psaume d’action de grâce que je me décidai à sortir le nez de sous la grande nappe pour suivre enfin l’horrible scène : Ma sœur, à genoux, éperdue de gratitude, venant de recevoir la communion des saintes mains du Cardinal…

 MO  Lise-Noëlle   Magali   Marie-Madeleine

 


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